Témoignages


Témoignages

Allocutions prononcées lors des obsèques de Gilbert Durand à l'Église de Rumilly le 11 décembre 2012

Bernard Durand, fils de Gilbert Durand

Monsieur le Ministre, Monsieur le Vice-Président du Conseiller Général, vous qui le connaissiez dans son terroir, vous qui l’aimiez et avez pris le train,

Prendront la parole :

Martial Legros, son frère d’armes dans la France combattante

Michel Maffesoli, qui évoquera l’universitaire éminent

Louis Besson ancien ministre, ancien maire de Chambéry qui évoquera les années passées dans cette ville

Monsieur Heison, maire de Moye

Jean-Jacques Wunenburger  qui représentera les amis et collègues de Gilbert

Je vous parlerai de mon père sous d’autres aspects plus intimes, moins publics, qui sont pour nous sa famille  et peuvent être pour vous  autant d’incitations à la rêverie, à la méditation et à la prière.

Il est mort le vendredi 7 décembre, lors d’une chute de neige comme on n’en avait pas connu depuis des années. J’ai voulu y voir un signe, une synchronicité. Le miracle de la neige  qui efface et qui permet la trace tout à la fois.

Gilbert a écrit son tout premier texte en 1953. C’était « Psychanalyse de la neige». 5 ème élément, substance rêveuse, peut-être son élément de prédilection.

Il est revenu souvent sur ce motif. Il se demandait par exemple quel genre de musique pouvait bien  évoquer la neige.

 J’ai choisi un thème musical d’Arvo Part, Fratres  compositeur du froid lithuanien qui peut évoquer un de ces hauts lieu de spiritualité que Gilbert aimait, le désert blanc de la Grande Chartreuse et  de Bruno où la neige est à la fois tombe et espérance (il citait le passage de la Vulgate sur la Transfiguration du Christ  « son visage resplendissait comme le soleil et ses vêtements étaient blancs comme la neige »)

Il parlait comme personne de la neige dans la peinture, de Breughel, la neige sale de Marquet ou une estampe  d’ Hiroshige ; et il aimait par-dessus tout un roman mystérieux où la neige du Trieves est un décor  mythique et mystique, « Un roi sans divertissement.»

Je voudrais évoquer les moments où Gilbert n’était  plus l’universitaire, où, comme  pour se purger d’un accaparant magistère discursif, il était dans le faire, dans l’action.

Curieusement, il fut philosophe par défaut, sa vocation première, contrariée,  était la peinture et c’est dans la peinture qu’il a puisé ses derniers moments de joie. 

Il n’était jamais aussi heureux lorsqu’il parlait et faisait peinture, passionnément, avec les chambériens, Joseph Communal, Victor  Lathoud, Jean  Noiray,  Pierre Leloup, ou les  autres Lima de Freitas, George Matthieu.

D’autres facettes aussi :
Camus a dit souvent que deux lieux  lui avaient fait connaitre le bonheur  dans sa plénitude : un terrain de football  et une scène de théâtre.

 Chacun sait que Gilbert n’a jamais tapé dans un ballon.

Mais il était un homme de théâtre, dans l’action culturelle, avant Malraux  et le discours de Bourges et bien avant la culture administrée. 

Et surtout sur le plateau, dans les praticables  et les cintres  comme décorateur, dans une équipe  avec Jean LOUIS, Michel LOMBARD, et d’autres que j’ai oubliés.

Et cette  passion pour le théâtre s’est transmise  dans les surgeons : mon frère Jean-Jacques, sa petite-fille Camille, ma sœur Maria Ying. 

Nous sommes aussi une tribu de cueilleurs, pêcheurs, chasseurs. Gilbert  a été  pendant  plus de dix ans membre du comité de direction du  CNRS. Mais il était aussi  très fier - peut-être avec une pointe de coquetterie- d’être sans doute un des plus anciens abonnés du Chasseur Français. Dans son ancrage, dans son terroir, dans sa communauté rurale, il avait su se faire admettre et apprécier. D’abord par ses voisins, les Reynaud, les Challes, Vibert, Marie France, Yves chez qui Xiao a pu trouver soutien et réconfort.

C’était ça aussi, sa faculté à se mettre au diapason de ses amis, au-delà de tout clivage social ou  culturel.

Il pouvait parler d’un mystique soufi du XII ème siècle, connu de dix personnes, et avec la même pertinence comparer les avantages de telle cartouche de 12 ou de telle plombée pour la truite.

Il a animé des séminaires et des colloques et l’un de ses meilleurs amis, Anthelme,  chasseur comme lui,  fabriquait des fosses septiques au piémont du Clergeon. 

Je me souviens de nos  parties de pêches sur le Rhône avec Yves Durand,  dans la neige de  décembre  et le froid glacial de comme celui d’aujourd’hui.

Je me moquais gentiment de sa dilection pour Wagner  en lui citant la formule de Woody Allen : « Chaque fois que j’écoute Wagner j’ai envie d’envahir la Pologne ».

Je  rends ainsi hommage à son humour que chacun a pu apprécier. Vous  avez eu donc un lied de Strauss.

Après les épreuves de ces dernières semaines, la famille d’abord, et nous tous, avions besoin d’apaisement et de recueillement.

Je terminerai en citant Mallarmé  un poète du blanc et du vide qui parle métaphoriquement :

« La mort est un peu profond ruisseau. »

Je vous invite à le passer à gué chaque fois que vous  rêverez sur la neige qui tombe, et qui est un  message de l’ailleurs. 

                                                                                    Bernard DURAND

Martial Legros, son frère d’armes dans la France combattante

SEPULTURE de Gilbert DURAND

le mardi 11 décembre 2012

en l’Eglise de RUMILLY (Haute-Savoie)

 Gilbert nous a quittés.

Il s’en est allé vers cet « au-delà » de la vie, objet de tant d’imagination et de doute.

De toutes nos pensées et de tous nos sentiments pour lui, nous souhaitons qu’il ait rejoint ce que son imaginaire lui suggérait lorsque, encore, il était en vie.

La Résistance chambérienne, savoyarde, française, pleure l’un des siens.

Il fut de cette jeunesse qui n’acceptât pas que la FRANCE qui, bien qu’elle ait perdu une bataille, se soumette, sans réagir, aux diktats de l’occupant.

Gilbert s’active dès fin 1940 début 1941 avec le groupe des Jeunes Gaullistes du Lycée National de Garçon -Vaugelas- qui s’est créé autour de Pierre DUMAS.

Il exécute déjà avec eux des actions significatives suivies de bien d’autres encore tout au long de son parcours dans la Résistance et qu’il ne me semble pas nécessaire d’énumérer, tant elles seront nombreuses.

Fin 1941 début 1942 il entre en relation avec les premiers responsables Lucien ROSE et Edwin STEPHENS du Mouvement de Résistance Libération-Sud et fait entrer « les Jeunesses Gaullistes » dans ce mouvement qui intègre peu à peu Groupes Francs de « Libé-Sud ».

Nommé responsable départemental du service de renseignements c’est dans ce domaine qu’il excellera et apportera à la Résistance, mais aussi aux services intéressés des alliés à Londres, de précieuses informations.

En 1943 il intègre le réseau « Gallia » des forces Françaises Combattantes, en qualité d’agent P 1 et au sein duquel il regroupe le Service de Renseignement qu’il avait créé et c’est dans ce réseau qu’oeuvrera un service de vrais-faux papiers qui permettra de soustraire à la barbarie nazi des Juifs en quête de fausse-identité et de lieux pour se réfugier. Son action humanitaire pour le peuple Juifs lui a été reconnue par, le 18 mai 2001, l’attribution de la Médaille des Justes parmi les Nations.

En septembre 1943 il est nommé chef du 5ème bureau chargé des opérations spéciales dans le cadre des Mouvements Unis de la Résistance qui vient de se créer à Chambéry pour la Savoie sous la responsabilité de Jean MERCIER.

Le matin du 7 janvier 1944 il est au domicile de Jean MERCIER avec qui il est en réunion et à laquelle assiste André VILLERMET -un agent de liaison- la Gestapo fait irruption, les arrête et les amène à la villa Ménager, son siège, où il subira de pénibles interrogatoires.

Le 7 février 1944 il est transféré à COMPIEGNE où il restera interné avec d’autres prisonniers dans une caserne gardée par la Wehrmacht jusqu’au 24 août 1944 lorsque un groupe de F.T.P. viendra les délivrer.

De septembre 1944 à janvier 1945 date de sa démobilisation, il sera chargé de différentes missions par l’E.M. National des F.F.I..

Le parcours de Gilbert DURAND dans la Résistance lui a valu l’attribution de très hautes distinctions :

Commandeur de la Légion d’Honneur, Médaille de la Résistance - rosette -, Médaille des Internés de la Résistance, Croix de Guerre avec Palmes, Croix des Volontaires de la France-Libre

Gilbert était membre de la prestigieuse Association de la Légion d’Honneur des Décorés au Péril de leur Vie des deux Savoie dont le Drapeau ici présent est accompagné de Membres de l’Association.

Je terminerai en disant à son épouse Chao-Ying et à tous ses enfants que nous compatissons, de tout notre coeur, à leur peine, et partageons avec affection leur douleur.

Adieu Gilbert,

va en paix dans ton éternel repos et sache que nous ne t’oublierons pas et que tu resteras un exemple pour tous.

  

Martial LEGROS

Officier de la Légion d’Honneur

Médaille de la Résistance

Croix de Guerre avec Palmes

Médaille des Déportés de la Résistance

Médaille des Blessés -2 étoiles

Croix des Combattants Volontaires de la Résistance

Président Honoraire de l’Union Départementale des Combattants Volontaires de la Résistance de Savoie

Membre d’Honneur de l’Associazione Nationale dei Partigiani Italiani

Michel Maffesoli évoque l’universitaire éminent

Laudatio

En ce moment douloureux à nos esprits et à nos âmes, il s’agit, bien sûr, d’adresser un salut filial et fraternel à Gilbert Durand. Le lieu de cette cérémonie nous y incite, qui rappelle que ce qui est essentiel au vivre ensemble est bien la communauté spirituelle. Mais je ne peux pas ne pas dire, fût-ce brièvement, qu’il a été, pour beaucoup d’entre nous, le professeur  Durand. Et, en tant que tel, reconnu comme un maître.

« Magister », celui dont la parole fait autorité. C’est à dire celui qui fait croître, qui donne un surplus d’être dans cette quête initiatique qu’est toute démarche intellectuelle de quelque authenticité ! Maître est celui qui permet de retrouver la parole perdue, dont tout un chacun a une grande nostalgie.

De cette maîtrise, je peux en témoigner, quand, aux quatre coins du monde, j’entends la reconnaissance qui est la sienne. Il m’est, souvent, venu à l’esprit cette expression « d’Orients mythiques » (élaborée avec son ami, Henri Corbin), lorsque à Sao Paolo, Mexico, Séoul ou Tokyo, j’évoquais sa figure tutélaire. Evocation trouvant un écho, immédiat, auprès de collègues auxquels je m’adressais. Ces derniers temps des interrogations sur sa santé, montraient également l’attachement à l’homme chaleureux qu’il était pour beaucoup.

Cette autorité m’a frappé, en recevant, ces derniers jours, les dizaines, les centaines, de réactions attristées à l’annonce de son départ pour cet Orient dont j’ai parlé.

Réactions qui, toutes, soulignaient la grandeur de son œuvre et la nécessité de maintenir, fermement, de développer la lumière ayant illuminé nombre d’entre nous. Car on ne le dit pas assez, et Gilbert Durand le rappelait souvent, la vraie connaissance est toujours l’aboutissement d’une illumination dont on retrouve les échos dans toutes les traditions culturelles.

Oui, dans un milieu intellectuel on ne peut plus désorienté, ce tout petit monde dominé par ceux qu’il nommait ironiquement les « quiétistes scientistes », il avait su, d’une manière souterraine, réorienter nombre de débats contemporains.

Et je fais le pari qu’une telle orientation va connaître un essor insoupçonné pour la « science de l’homme » souchée sur la pure et authentique tradition.

Peut-être aussi, en sa présence absente, convient-il de lui dire, en guise de salut, que l’on va contribuer au rayonnement de ce qu’il a initié.

Car, il faut le dire sans crainte, il existe bien un « collège invisible » qui s’était réuni autour de l’homme Gilbert Durand et de son œuvre.

On me presse d’organiser un hommage à la Sorbonne, comme un écho, postmortem à celui qui lui fut rendu à Ottawa ou à ceux qui dans de nombreuses universités lui sont, ces jours-ci, rendus. Ce sera fait rapidement.

De même, le directeur de la Casa Eranos à Ascona m’a déjà proposé d’organiser une journée en son honneur, en la villa « Gabriella » qu’il a tant aimée et où l’on sent l’ombre de sa présence. Ce sera fait.

Et bien sûr, ce manuscrit qu’il m’avait confié, il y a peu, et que j’ai, de suite, remis à un éditeur. Ce manuscrit auquel il tenait tant : « Testament intellectuel, disait-il. Il faut le publier. » Ce sera fait.

Puis-je, à titre personnel, rappeler ce que je lui dois ?

Non pas par simple narcissisme, mais bien comme illustration d’un « universel concret » que l’agrégé de philosophie qu’il était connaissait bien.

C’était, curieuse synchronicité, en décembre 1972, quarante ans déjà ! C’était à Chambéry, dans le bureau de ce Centre de Recherche sur l’Imaginaire qu’il avait fondé et auquel il tenait tant. Il avait accepté de diriger ma thèse de troisième cycle. Je ne sais pas pourquoi, ma thèse étant en sociologie, nous évoquâmes le livre de Hermann Hesse : « Le Jeu des perles de verre », ainsi que « l’ère de la page de variétés » dont cet auteur parlait.

L’éternel combattant, voire le résistant qu’il était, entendait lutter contre une telle facilité, c’est à dire contre ce danger qu’est l’absence de pensée qui menaçait déjà l’université. Il m’a, dès ce moment là, associé à cette lutte qu’il a poursuivie avec constance dans les instances d’évaluation du ministère de l’enseignement supérieur, au CNRS, ou dans les débats d’idées qu’il a menées en parfait « chevalier » qu’il était.

Notre accord fut immédiat et inaugura notre longue collaboration : thèse d’Etat, glissement du Centre de Recherche de l’Imaginaire à la Maison des Scicnces de l’homme à Paris, le colloque de Cerisy autour de son œuvre et les diverses rééditions de ses livres, en particulier aux CNRS Editions qui vont poursuivre ce travail.

Dans tous ces cas, le collège invisible (le réseau des groupes de recherches participant au CRI), au cas particulier dont je viens de parler, ce que je retiendrai, c’est que le professeur Durand fut prodigue d’une « manna absconditum », cette manne secrète et vivifiante qui nourrit, en sa traversée du désert, le peuple d’Israël, lui qui fut déclaré « juste » par ce même peuple, il sut nous en faire profiter. Avec générosité et en abondance.

Porte-voix de tous les chercheurs des centres de recherche sur l’imaginaire, répandus en de nombreux pays, je peux assurer qu’issue d’une âme et d’un esprit généreux, l’œuvre de Gilbert Durand, véritable centre de l’union va continuer à rayonner.

Il est une phrase qu’il rappelait souvent (et que je redis à mes étudiants »), phrase le définissant parfaitement, et que je lui adresse à mon tour : Professeur Durand, nous aussi, nous mettrons notre honneur dans la fidélité !

            Michel Maffesoli

Professeur à la Sorbonne

Directeur du Centre de Recherche sur l’Imaginaire

Membre de l’Institut de France

Louis Besson ancien ministre, ancien maire de Chambéry évoque les années passées dans cette ville

Hommage à Gilbert Durand

Mardi 11 décembre 2012 

Le Professeur Gilbert DURAND nous a quittés ce vendredi 7 décembre. Il se trouve que j’avais eu le bonheur de le voir mardi dernier et que, grâce à quelques petits signes de sa part, j’avais pu observer qu’il en était heureux et je lui avais d’ailleurs promis de revenir le visiter.

Ce 6 décembre un entretien avec son médecin traitant non seulement me permettait d’avoir confirmation qu’il bénéficiait des soins les plus attentifs mais la stabilisation de son état donnait même à penser à ce praticien bienveillant qu’un rebond n’était pas à exclure. Hélas, sans doute s’appuyait-il sur ce que nos « anciens » avaient coutume d’appeler « le mieux de la fin » puisque ces observations étaient bien réelles mais hélas Gilbert DURAND allait s’éteindre le lendemain…

 

L’évocation de cette fin de vie permet à tous ceux qui sont dans le chagrin et l’entourent aujourd’hui -son épouse, sa fille, ses fils, ses petits-enfants- d’avoir confirmation de ce qu’il est bien resté lui-même jusqu’au bout, à savoir un « Résistant » face à l’épreuve de soins lourds et d’une santé déclinante.

L’annonce de son décès m’a permis de recueillir des observations spontanées qui traduisent bien le souvenir qu’il va laisser.

Son ancienne collègue, Aurore FRASSON-MARIN, retenue au Centre Hospitalier de CHAMBERY pour raison de santé, m’a demandé de bien vouloir excuser son impossibilité de présence parmi nous mais elle a immédiatement ajouté que l’ancienne étudiante de Propédeutique, qui avait particulièrement apprécié le Professeur Gilbert DURAND, ne pouvait oublier le rôle majeur qu’il avait tenu dans la création de l’Université de SAVOIE et dans le développement de la recherche sur l’imaginaire puisqu’après avoir créé le C.R.I. à CHAMBERY, il a tenu un rôle majeur dans l’organisation d’un véritable réseau international qui compte aujourd’hui une soixantaine de laboratoires dont les 3/4 à l’étranger et sur plusieurs continents!

Un ancien journaliste, de 15 ans son cadet mais hélas lui aussi retenu par un problème de santé, m’a spontanément indiqué qu’il le comptait depuis toujours parmi les quelques professeurs qui l’avaient particulièrement marqué pendant sa scolarité au lycée de CHAMBERY.

Un de ses anciens collègues, professeur du même lycée, est encore allé au-delà en me disant que parmi les professeurs de philosophie qu’il avait eu à connaître il le tenait de loin pour le meilleur de tous pour sa capacité à se faire comprendre.

Je pourrais citer d’autres témoignages mais dans la mesure où ils sont tous convergents quelques-uns suffisent à nous montrer que son parcours de vie, débuté avec l’épreuve des combats pour la Libération de le FRANCE avait forgé une personnalité solide, une personnalité ne s’interdisant pas de jouer les franc-tireurs et de sortir des sentiers battus.

Je pense en particulier à son refus d’être prisonnier d’une discipline et à cette volonté constante de travailler, lui le philosophe, avec des mathématiciens, des médecins, des psychanalystes, des neurobiologistes voire des astrophysiciens…

Très déterminé dans ses choix qui pouvaient être dérangeants il a pu être rejeté par quelques-uns mais ressenti comme très attachant par beaucoup d’autres!

Des voix bien plus autorisées que la mienne ont évoqué ses actions audacieuses dans la clandestinité et d’autres vont souligner l’extrême importance de ses oeuvres avec la publication régulière d’ouvrages qui ont fait date tout au long de sa vie professionnelle et même au-delà puisqu’après une première attaque sérieuse de santé il a encore été capable d’écrire et de publier parmi de nombreux textes et ouvrages son « Introduction à la mythodologie »… sans aucun doute un néologisme qu’il a voulu créer pour mieux embrasser toutes les dimensions de sa pensée sur les sujets les plus complexes.

Près de 70 années de vie engagée et rayonnante lui ont valu de multiples et prestigieuses distinctions dont l’énumération, à elle seule, pourrait souligner l’étendue des domaines dans lesquels il a servi et brillé. Parmi celles-ci, je retiens la plus récente et la plus élevée avec cette réception dans son nouveau grade de Commandeur de notre Premier Ordre National, à l’Hôtel de Ville de CHAMBERY, avec comme illustre parrain Raymond AUBRAC. Que d’intensité dans les propos échangés ce jour-là et que d’émotion parmi une assistance aussi nombreuse qu’émue et chaleureuse à la fois. C’était, disais-je, dans les salons d’honneur de l’Hôtel de Ville de CHAMBERY et très clairement pour tous les participants c’était chez lui… à CHAMBERY.

En effet nul n’a oublié sa proximité avec un camarade de Résistance, Pierre DUMAS, durablement Maire de sa cité. Par la suite, j’ai toujours ressenti comme un honneur la sympathie qu’il me témoignait alors que nous n’étions pas tout à fait de la même génération et que j’avais trop peu bénéficié moi-même de ses enseignements.

A mes côtés dans l’équipe municipale le Docteur André GILBERTAS lui portait une immense considération et le tenait pour le plus illustre de nos concitoyens. J’en veux pour preuve l’initiative qu’il avait spontanément prise de solliciter Gilbert DURAND pour qu’il écrive son regard sur CHAMBERY. C’était en fin d’année 1990.

Gilbert DURAND s’était exprimé dans un texte qu’il avait intitulé « Contrepoints ». J’en ai retiré les quelques lignes suivantes car elles me semblent bien nous renseigner sur la petite patrie provinciale qu’il considérait être la sienne. Je le cite:

« J’ai bien été domicilié, pendant plus d’un demi-siècle à CHAMBERY…

Né à l’ombre du clocher de Saint Joseph, aux limites du faubourg de la Folatière…

J’ai grandi encore plus au nord, en limite de ce Champ de Mars où galopaient les Dragons du 4ème Escadron qui, plus tard, deviendrait Stade Municipal et terrain d’exercices des Grenadiers de la Wehrmacht.

Au plus près de la Ville, je n’ai jamais franchi la limite nord du Parc du Verney, et enfin j’ai habité JACOB, dans ce magnifique clos Edouard Pailleron…

Dans le même texte, il écrit encore:

CHAMBERY a le privilège de posséder « un quartier latin », studieux, où autour de l’axe de la rue Marcoz s’épanouissaient en éventail écoles Paul Bert et « Waldeck » Rousseau, Ecole normale et lycée de filles (devenu unisexe Louise de Savoie), « Ecole préparatoire à l’enseignement supérieur » dont Jean-Baptiste CARRON fit le creuset de notre Université. (…) Enfin la perle des perles du sanctuaire, le « Lycée National de garçons » (devenu l’unisexe Vaugelas) mon « bahut » où j’ai passé vingt ans de ma vie… »

Mais en définitive, tout en étant le plus Chambérien des Chambériens, Gilbert DURAND a su être un homme à la personnalité riche de multiples dimensions.

L’homme le plus connu c’est évidemment -et il le restera- le grand Professeur, le grand Universitaire, le grand Intellectuel… le Disciple qui a prolongé -sinon dépassé- l’oeuvre de ses maîtres BACHELARD, JUNG et bien d’autres. 

C’est aussi un grand Français qui nous quitte car à la fois patriote et universaliste, quelqu’un qui a rejeté toute compromission avec VICHY mais qui ne s’est pas battu seulement pour la Libération du territoire national mais d’abord pour des valeurs de civilisation contre l’idéologie mortifère nazie.

C’est aussi un grand Savoyard que nous accompagnons aujourd’hui car si nul ne pouvait être davantage que lui ouvert au monde et au mouvement des idées, il a choisi de s’éteindre à Rumilly, ce coeur de la SAVOIE historique qu’il avait choisi pour sa retraite en ayant sûrement à l’esprit la formule que chérissaient ces grands Savoyards qui aimaient dire: « il n’y a qu’une SAVOIE ».

C’est sûrement également un vrai Chambérien par toute son enfance, par les premières étapes de sa vie professionnelle mais aussi par sa contribution déterminante, avec Paul GIDON, à la naissance -depuis cette rue Marcoz dont il faisait le coeur du quartier latin chambérien- de l’Université de SAVOIE.

Encore aujourd’hui relire ce qu’il avait écrit en réponse à la sollicitation du Docteur GILBERTAS donnerait à de nombreux Chambériens qui n’ont jamais quitté leur cité mille preuves qu’ils ne la connaissent pas encore aussi bien que lui!

Pour tout ce qu’a été le Professeur Gilbert DURAND, je m’incline avec respect devant sa mémoire, persuadé que les innombrables facettes de sa personnalité ne nous permettent que d’entrevoir ce qu’ont pu être les richesses de son existence et imaginer tout ce qu’il a pu représenter pour ceux qui ont eu la chance d’être ses proches ou de pouvoir beaucoup l’écouter.

A son épouse Chao-Ying, à sa fille Maria-Ying, à ses fils Bernard et Jean-Jacques, comme à ses petits-enfants, je veux dire ma gratitude pour leur contribution à son rayonnement et à la disponibilité que celui-ci exigeait… tout en souhaitant qu’ils puissent trouver, dans la fierté d’avoir été « sa famille », motif à réconforter dans l’épreuve qui est la leur. Qu’ils sachent que par ses oeuvres comme par sa personnalité Gilbert DURAND demeurera parmi nous, dans nos coeurs et dans nos esprits pour longtemps!

Louis BESSON

Ancien Ministre et ancien Maire de Chambéry

Monsieur Heison, maire de Moye

Mesdames, Messieurs,

Aujourd'hui, est une triste journée pour tous les habitants de notre commune de MOYE.

Aujourd'hui, nous accompagnons Gilbert DURAND, l’un des nôtres, vers sa dernière demeure.

Je m’exprime devant vous au nom de tous mes concitoyens. C’est un honneur que je mesure, mais c’est aussi avec une très vive émotion … que je prends la parole pour, très respectueusement, saluer sa mémoire.

Moye, notre petite commune rurale, nichée au pied du Mont Clergeon, que vous aimiez tant, Gilbert.

Il y a un peu moins d’un demi-siècle, en 1965 vous faites l’acquisition du petit château fort de Novery, bâtisse du 16éme siècle, au hameau de Nivellard.

Beaucoup se sont interrogés sur votre choix :

  • vous… l’homme de lettres, le philosophe internationalement reconnu, le maitre incontesté de l’imaginaire,
  • vous… le juste parmi les nations, le commandeur des Palmes académiques, le commandeur de la légion d’honneur,
  • vous… l’homme d’esprit, l’homme d’action, de conviction et de combat,

Pourquoi avoir porté un intérêt si marqué et jamais démenti à notre modeste commune.  

  • Peut-être … votre passion de la nature et le plaisir de parcourir notre territoire rural encore préservé,
  • Sans doute … le plaisir que vous preniez à partager ces parties de chasse et de pèche mémorables,
  • Mais ce choix était assurément guidé par votre besoin viscéral de pouvoir vous retrouver dans un lieu propice au repos et à la réflexion, en pleine opposition à votre vie publique trépidante.      

Gilbert, que ces moments privilégiés de conversation et d’échange passés en votre compagnie était enrichissants, combien votre esprit excellemment brillant, empli d’humanisme et de compassion, inspirait le respect … et l’admiration.   

Quel cadeau divin d’avoir pu croiser votre parcours de vie en tout point remarquable et exceptionnel.

Vous représentez tant de choses… pour tant de gens … mais vous étiez et resterez d’abord pour nous… et comme nous… un Moyére … tellement vous avez su comprendre et aimer notre chère commune.  

A vous, Madame Durand son épouse, à ses enfants et petits-enfants à toute sa famille, je veux vous assurer de ma présence à vos côtés pour supporter ce deuil, malgré mon sentiment d'impuissance, face à ce chemin qu'il vous reste à faire.

Sachez que dans mon regard, et dans celui de beaucoup de personnes iciprésentes, vous trouverez, aujourd'hui, et demain, un soutien et une force, pour vous aider à supporter l'intolérable absence.

Je tiens enfin, au nom de tous les habitants de Moye et en mon nom personnel, à vous présenter, très humblement mais du fond de notre cœur, nos condoléances les plus attristées, notre soutien indéfectible et notre profonde sympathie.

Il n’y a pas de début … comme il n’y a pas de fin … juste un amour infini de la vie …..  GILBERT... Comment vous oublier … Vous resterez dans nos cœurs par la force de votre esprit.

                                                                   Christian HEISON

                                      Vice-Président du Conseil général et Maire de Moye

Jean-Jacques Wunenburger ami et collègue de Gilbert

ALLOCUTION aux obsèques de Gilbert Durand (Église de Rumilly le 11 décembre 2012)

50 ans après la disparition de Bachelard en 1962, l'imaginaire en France perd un autre de ses maîtres en la personne de Gilbert Durand. Sur nos écrans Internet ne cessent de circuler depuis samedi des messages attristés venant de tous les continents, du Brésil à la Corée, du Canada au Japon, d'Italie au Portugal, de la Roumanie à la Belgique, de Montpellier, d'Angers, de Nice ou de Dijon, etc., Tous ces amis, isolés ou regroupés dans des centres de recherche, témoignent avec une rapidité sans précédent, à la hauteur de la stupeur ressentie, du vide que leur laisse le départ vers l'invisible de leur maitre et ami. Pêle-mêle les messages évoquent une perte immense, un pionnier d'une rare ouverture intellectuelle et humaine, un pèlerin de l'Ile verte.

Car Gilbert Durand est à la source et au centre d'une vaste communauté, même plus d'une fraternité, d'affinités électives qui lui doit, depuis 50 ans aussi, à la fois une révolution scientifique dans les Sciences humaines et sociales et souvent une vocation existentielle nouvelle qui fait voir autrement la vie de l'Anthropos. Car l'imaginaire, auquel Gilbert Durand nous a initié depuis son chef d'œuvre inaugural des "Structures anthropologiques de l'imaginaire", est devenu pour nous tous un socle révélateur pour comprendre autrement l'homme et pour engager une autre lecture de la vie et de la culture.

Dans une université dominée par un positivisme triomphant et un rationalisme dogmatique, G. Durand, en "Homo viator" nous a montré le chemin libérateur qui pouvait nous conduire vers une autre lumière, symbolique et mythique, qui brille depuis des siècles, voire des millénaires, dans toutes les traditions et qui avait été occultée par une mythologie linéaire et totalitaire. Ses collègues des années 60, ses élèves, puis les élèves de ses élèves, dans toutes les disciplines, des arts à la sociologie et la philosophie, en passant par les sciences dures, ont depuis reconnu en lui moins un Maître à penser, qui est trop souvent égocentré, qu'un formateur d'intellect et un conducteur d'âme qui peut aider à subvertir les idéologies dominantes et unidimensionnelles qui ont mené à tant de catastrophes modernes.

Mais avant l'œuvre il y a l'homme. Gilbert Durand savait user de toutes les facettes d'une psychologie profonde et subtile : célèbre pour son calme souriant et séducteur, visage du nocturne, il savait aussi user de colères rebelles -tel saint Georges-, contre la bêtise des hommes et des institutions ; enraciné localement dans sa Savoie natale, où il a combattu durement en des heures sombres, il savait aussi s'ouvrir au monde global, convoquant avec aisance et familiarité toutes les civilisations anciennes et contemporaines ;  excellant dans des causeries presque intimistes, sans notes savantes, où il rendait limpide l'essentiel, il savait aussi manier dans ses articles une érudition sans pareil, reposant sur une culture impressionnante dans tous les domaines, de l'histoire des religions aux sciences microphysiques. Par sa culture encyclopédique il était l'homme des ponts ( pontifex ), pont entre les hommes, pont entre les savoirs, pont entre les cultures, du Brésil à la Chine, du wagnérisme nordique aux cultes vaudous du sud.

Mais Gilbert Durand était aussi un homme d'institution. Porteur d'une véritable réforme de l'entendement, qui aurait pu se cantonner dans une œuvre distante et solitaire, il a su remplir toutes les fonctions généreuses d'un grand universitaire. Soucieux d'éveiller, de rassembler et de faire partager, il su mener une politique éditoriale de ses travaux en mettant à la disposition d'un vaste lectorat, dans des collections prestigieuses, les nombreux travaux pointus qu'il menait à l'occasion des colloques nationaux et internationaux auquel il acceptait de participer toujours avec une grande disponibilité. Directeur de thèses originales ou intempestives, il savait accueillir et soutenir les jeunes chercheurs par ses orientations précieuses et fines. Fondateur du premier Centre de recherche sur l'imaginaire avec ses complices de l'époque, il a su mettre en pratique, bien avant la mode, une réelle pluridisciplinarité pour faire le tour de l'imaginaire anthropologique. Soucieux d'inscrire dans la durée et dans la synergie, des méthodes nouvelles et leurs résultats à contre courant, il a su organiser des réseaux internationaux, devenus un véritable archipel des imaginaires sur les cinq continents. Son oeuvre aujourd'hui forme un corpus  dense et polyphonique, allant de la franc-maçonnerie à la sociologie des profondeurs en passant par l'esthétique des arts, traduit en de nombreuses langues et étudié par des cohortes de jeunes chercheurs dans les pays les plus divers.

Depuis quelque temps sa parole était devenue rare, à présent elle s'est tue ; mais nous garderons toujours en mémoire ce regard malicieux, ce sourire complice et amical, sa voix mélodieuse, ses cheveux ondoyants, ses habits qui alternaient le chasseur savoyard et le lettré chinois. Toujours attentif à chacun, toujours dévoué et encourageant, il a permis à plusieurs générations de trouver leur voie académique et leur voie intérieure, en les confirmant dans leurs intuitions, avec l'autorité d'une grand savant et d'un authentique initiateur.

A sa famille, à Chao-Ying et à sa fille, nous disons que nous serons toujours fidèles à sa mémoire et présents à leur côté au-delà des distances géographiques et de la diversité culturelle, en espérant être à la hauteur de ses attentes, de ses messages et de ses combats contre les mystificateurs de tous ordres, qui veulent étouffer cette force de liberté qu'est l'imaginaire. Gilbert Durand savait que l'imaginaire constituait notre ultime parade contre la mort mais lorsqu'elle nous rattrape, nous devons encore imaginer, comme l'ont fait tous les mythes, toutes sortes de survivances Espérons, comme Socrate, que Gilbert Durand, qui encore est là devant nous, restera présent parmi nous, à côté de nous, pour toujours. C'est le plus beau des risques, le beau des mythes que nous faisons nôtre, à sa mémoire.

Jean-Jacques Wunenburger

In memoriam

 

Françoise Bonardel

Arlette Chemain

Yves Durand

Joël Thomas

Georges Bertin

 Hélène Strohl​

 Pascale Casbi

 Disciple chinoise

Maria Pia Rosati

Lettres et témoignages reçus par Mme Durand

carte de  A.Jacobée carte de  P. Bechet carte de R. Buquin lettre de A.A.Avenières lettre de B. Accoyer lettre de JPTrosset lettre de M. Germain