Gilbert Durand. Le retour des dieux 1


Gilbert Durand Le retour des dieux

par Patrice van Eerse

Ses “structures de l'imaginaire” sont devenues classiques. Sa remise en cause du réductionnisme scientifique est radicale. Selon lui, il serait vain de prétendre à une science de l'homme qui ne prendrait pas en compte l'ensemble de nos dimensions, biologique, écologique, psychologique, politique, religieuse, spirituelle... Plus fondamentalement, il pense que l'on ne peut finalement pas “expliquer” l'essentiel, mais s'y “impliquer”, c'est-à-dire le vivre. Du coup, le polythéisme lui semble d'une nécessité vitale, car le divin, dit-il, prend d'innombrables formes, qu'il serait stérile de vouloir fondre en un seul Theos abstrait. Conversation avec un polythéiste chrétien...

À 80 ans, ses yeux brillent encore fort. Sa crinière blanche et son costume de lin immaculé lui donnent une allure de seigneur. Un seigneur bienveillant, au sourire éclairé. C'est un ancien grand résistant du Vercors (dès juin 1940 ! et début 1945, il fut chargé par De Gaulle d'une étonnante mission : aller demander à Himmler de libérer les déportés encore vivants).

Agrégé de philosophie, il est devenu un maître en anthropologie, a posé les bases d'un “structuralisme de l'imaginaire” et formé une myriade de sociologues, d'ethnologues et d'anthropologues - dont Michel Maffessoli, qui est déjà plusieurs fois intervenu dans Nouvelles Clés. Ce petit homme est un grand personnage - à l'intérieur du système (il a fait partie, pendant trente ans, du comité qui nommait tous les profs de fac de France), et contre le système : on ne trouve pas de remise en cause plus radicale du réductionnisme scientiste que dans sa pensée. Au nom de quoi ose-t-il contester les bases mêmes de la société où nous vivons ? Au nom du post-modernisme, dirait Michel Maffesoli, rejoignant là tous ceux qui, hors des sentiers linéaires de l'historicisme et de la psychologie matérialiste, pensent que l'humanité est une et que l'on ne peut pas davantage séparer l'esprit du corps que le réel de l'imaginaire. Mais lui, Gilbert Durand, que répond-il ?

Nouvelles Clés : Une citation de vous dit : « Plus grave que la mort de Dieu est l'ignorance des dieux. » Peut-on dire que cette phrase résume le diagnostic sévère que vous portez sur la science occidentale ?

Gilbert Durand : Oui, parce qu'avec la fameuse mort de Dieu, slogan inventé par Nietzsche, il s'agissait toujours d'un milieu monothéïste assez fermé, chez les croyants comme chez les incroyants. Ça gravitait finalement autour du Dieu de la Bible. Je pense que nous assistons aujourd'hui à une restauration de certaines puissances, appelons-les des divinités si vous voulez, qui sont plurielles. Je dis souvent à ceux qui m'imaginent favorable à un néopaganisme, qu'on ne peut pas gommer d'un trait deux mille ans de christianisme. J'estime qu'un néopaganisme a perdu son vocabulaire, et ne serait légitime ni dans ses circonstances, ni dans sa vocation, ni dans ses invocations, ni dans ses attributions....
Par contre, si je ne suis pas païen, je suis polythéiste. Je pense que même dans le christianisme, surtout populaire, sont infiltrés les anciens dieux celtes, les latins (l'hagiographie des saints successeurs de ces dieux a endossé leurs fonctions).

Le christianisme a donc à assumer un héritage et il est, selon moi, beaucoup plus grave de nier les plurialités ou les pluralités qui sont en nous et nous gouvernent, que de nier un seul Dieu théorique, qui serait la cause première et rien de plus. Quand on est monothéïste, on file fatalement vers le déïsme. Mais dès que l'on incarne une divinité, elle acquiert des attributs, donc des pluralités. Le Père Rogeard, aumônier des Armées, a écrit un très beau livre intitulé “Jésus a tant de visages !” Dès que le divin s'incarne, c'est inévitable. Prenez Marthe et Marie, Marie lui

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